Il existe de ces récits qui front frémir. Ecrits dans le plus pur style du début du XXe siècle, et rappelant les maitres de l'épopée tel Marcel Dupont évoquant les cavaliers de Napoléon.
A l'origine, les JMO (Journaux de marche des opérations) racontent une toute autre histoire : les durs combats racontés par ceux qui l'ont vécu en 40 ou 44-45, au jour le jour, dans uns style des plus neutres. Mais parfois, en les feuilletant, on peut tomber sur des petits bijoux, écrits dans le style de ces grands maîtres. Tel est le cas du JMO du 2e régiment de chasseurs d'Afrique, régiment de chars faisant partie de la 1ere DB (intégré à la 1ère armée de De Lattre de Tassigny) en 1944 et 1945. Ou plutôt, tel est le cas des annexes qui s'arrêtent sur quelques opérations particulières.
Je ne sais pas qui a écrit le texte qui suit. Peut-être le capitaine Vie qui commande le 3eme escadron du 2e RCA à partir de novembre 1944. Mais ce rapport fait honneur à sa mémoire. Le texte est long, et il me faudra peut-être le couper en deux.
Le contexte : le novembre 1944, le corps du général Béthouart, dont fait partie la 1ère DB lance son attaque vers Belfort. Les régiments Allemands de la 338 VGD résistent tant bien que mal. Alors que Belfort est investie dans la nuit du 19 au 20 novembre ordre est donné à la 1ère DB de foncer vers le Rhin. Mais le 19, alors que le CC2 (Combat command 2) de la division est stoppé (11 Sherman détruits), les éléments de tête du CC3 (dont fait partie le 2e RCA et le 2e bataillon de Zouaves) parvient à atteindre Mulhouse. Face à cette menace venant du sud, les Allemands s'accrochent au terrain entre Bunhaupt et Mulhouse. Ils lancent même plusieurs contre-attaques, soutenus par quelques sections provenant de la 106e Panzer-Brigade (une cinquantaine de Panthers et une trentaine de Panzer IV), du Panzerjäger-Abteilung 654 (une vingtaine de Jagpanthers) et de la Sturmeschützbrigade (une quinzaine de StuG IIIG).
Il est maintenant temps de laisser la parole au capitaine du 3e escadron du 2eRCA...
LA JOURNEE DU 25
NOVEMBRE ET "LA NUIT DE GALFINGUE"
Le 25 novembre, le
3e escadron est rattaché au groupement du colonel de LEPINAY, qui, par une
action vers le S.O. de MULHOUSE va s'intégrer à la vaste manœuvre conçue par le
général de LATTRE pour détruire et refouler les Allemands qui nous gênent
encore beaucoup dans le SUNDGAU et le long des VOSGES. Cette manœuvre aura son
plein épanouissement quelques jours plus tard, et obtiendra un entier succès.
L'escadron y paiera cher sa contribution... Il y vivra des heures émouvantes,
angoissantes... Mais il y trouvera surtout, et encore, urne occasion de se
grandir et d'être fier.
Le matin est clair
et le soleil se fait précéder de quelques effets de nuages de fort bon aloi...
Tant mieux... car, quoi de plus agaçant et de plus imprécis qu'un périscope
envahi de gouttelettes tenaces devant un horizon bouché ?
L'escadron est
précédé du peloton de chars légers du lieutenant de SAINT-TRIVIER. Nous avons
le concours de la compagnie du capitaine FAUGERE d'une excellente section du
génie... Et, nous voilà, démarrant lentement vers DIDENHEIM, premier objectif,
où l'on sait trouver une centaine de Boches décidés. La première crête franchie
ne révèle aucune arme anti-char... On va donc pouvoir, en toute liberté user de
notre brutalité, et à coups de masse assénés à bout portant, sans trop savante
stratégie, écœurer les plus coriaces et ramollir les plus durs de ces «
Messieurs » .. Nous débouchons sur le village, légèrement en contrebas, entouré
d'une petite chapelle, d'un cimetière, d'un haricot vaguement poilu et coiffé
d'une maison rouge. et, dépassant juste, à droite, quelques maisons et vergers,
tous objectifs suspects, qui « vont comprendre leur cas » comme dit l'autre. Un
bref ordre, à la radio fixe à chacun sa zone de destruction et voilà les
TONKIN, MAROC, ILE-DE-FRANCE, ANJOU et BEARN qui s'en donnent à cœur joie...
Bravo, CHEVALIER.
Celui-ci se spécialise dans les tirs d'embrasure, et, pour être plus sûr
du résultat, tire à un maximum de 15 mètres.
Pan, dans la
Chapelle... Bien, MORIN... C'est dommage, elle est jolie et agréable, mais on
vient d'y apercevoir quelques habits verts qui tentent de s'y réfugier. Ah, un
malheureux Bazooka, mal ajusté vient d'éclater à 20 mètres à gauche... D'où
cela vient-il ? Là dans le buisson. Bing.., ça suffit...
Les mitrailleuses,
n'en parlons pas… elles en rougissent de plaisir. Pendant ce temps, voilà nos
fantassins qui dévalent à droite et à gauche et nettoient les couverts. Joli
travail et.., spectaculaire. Les premiers bras levés commencent à apparaître.
Ils ont l'air dégoûté et fatigué. Malheureusement notre élan est arrêté, car
nous tombons sur les classiques mines qui interdisent l'entrée du village.
Allez, le génie, en avant... Et pendant que le tir continue pour les soutenir,
voilà nos sapeurs au travail. Un tir ennemi se déclenche ; ce sont des « minen
» qui nous encadrent d'ailleurs assez bien il ne tardera pas à s'arrêter car,
nous l'avons su plus tard, le peloton GODARD qui nous soutient efficacement sur
la gauche, a repéré les délinquants et les met hors de combat par un tir bien ajusté.
Les sapeurs mettent plus de trois heures pour déterrer une cinquantaine
de mines anti-chars, plus ou moins piégées et nous livrent ainsi, enfin,
l'entrée du village. Tout le monde s'y précipite, les chars en gardant les
issues. Le nettoyage est rapide et efficace. MORIN en profite pour ramener
quelques prisonniers et un gigantesque bazooka…Brrr…qu'il est vilain ! !
A ce moment,
parait le commandant DEWATRE, muni de son porte-carte. Au milieu du bruit des
moteurs, ses maxillaires s'agitent rapidement et nous comprenons qu'il faut
continuer dare-dare. Quelques minutes d'observation à la crête. RAS. Et nous
repartons avec le même dispositif.
HOCHSTATT est atteint sans difficulté et traversé sans coup férir.
On ne sait comment
le 3e escadron se trouve dès lors en tête, et le 3e peloton ouvre la marche,
juste derrière le lieutenant de SAINT-TRIVIER. Il est 17 heures. Le jour
commence à tomber. Tout, peu à peu s'estompe dans un agréable imbroglio,
d'ombres et de lumières. La marche continue un peu plus lentement, car nous
abordons une forêt à la mine peu engageante, et le souvenir des VOSGES n'est
pas si lointain. Tout le monde observe et scrute ardemment les buissons,
bas-côtés, arbres, bouts de route.., d'où peut partir à tout moment, le coup
fatal. Il est maintenant : 8 heures elle est longue cette forêt. Mais tout se
passe bien, et nous voilà enfin, débouchant de la verdure. Il fait presque
nuit, et, devant nous, nous distinguons notre dernier objectif le petit village
de GALFINGUE à l'aspect calme et endormi. Nous ne nous doutons, certes pas que
ce paisible endroit allait, dans quelques heures, après un charmant prélude,
être le théâtre d'une étourdissante symphonie, pour « panzerfaust »
et « frein de bouche » qui faillit bien tourner en « Marche
funèbre ».
Dès les premières
maisons, un bazooka immobilise un char léger. Aussitôt, le TONKIN s'avance, au
plus près, lâche quelques rafales et un obus de représailles met le feu à une
grange. La fumée est gênante, mais les flammes nous apportent une réconfortante
clarté, Les fantassins mettent pied à terre et commencent à tirailler on n'y
voit pas grand-chose, mais il est jugé préférable de liquider cette affaire
tout de suite plutôt que d'attendre le jour. Le TONKIN reprend sa marche,
lentement, suivi du peloton ; les mitrailleuses prennent à partie tout ce qui
est encoignures et recoins. Le capitaine VIE marche en tête, à pied sa
mitraillette sous le bras… Bing... TONKIN est bazooké, mais sans mal. CHEVALIER
en descend, l'œil mauvais, suivi de son char, il commence à faire des cartons.
Les coups de feu et les rafales se succèdent rapidement, les incendies se
propagent et l'atmosphère n'est pas très rassurante. A un moment où le TONKIN
passe devant l'Eglise, il reçoit un deuxième panzerfaust en plein dans le
réservoir, qui l'immobilise. Il commence à flamber mais heureusement, les
extincteurs fonctionnent et l'incendie est vite maîtrisé... FERNANDEZ est tué.
L'équipage met pied à terre et interdit l'approche du char. Les zouaves, enfin
arrivés à notre hauteur, nettoient rapidement les maisons environnantes.
Les premiers
prisonniers arrivent ; ce sont pour la plupart des Russes volontaires encadrés
par des S.S. Bientôt, une bonne partie du village est entre nos mains et, à 23
heures nous pouvons considérer que l'affaire est liquidée.
Nous avons environ 80 prisonniers, 2 canons de 77 abandonnés et... une
caisse de beurre !
La suite... pour demain !
Ci-dessus : le char "Austerlitz" qui fait partie non pas du 3e mais du 4e escadron du 2eRCA.
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